Réflexions sur la “Défense Commune” européenne, par Pierre Defraigne

Trois réflexions sommaires en faveur d’une défense commune

Un, l’Europe peut-elle prétendre à un rôle international si pour sa défense elle continue à s’en remettre aux Etats-Unis sans viser la parité, non pas stratégique – prétention inutile et impossible- mais politique avec eux? Est-ce possible sans une défense commune au sein de l’OTAN ? L’UE est-elle crédible pour la Russie, la Chine ou, l’Inde si de toute façon, elle n’a d’autre choix que de suivre Washington qui , de plus en plus ne connaît que ses intérêts ? N’ouvre-t-elle pas ainsi un flanc à des tactiques ‘divide and rule’ de la part de ses grands partenaires continentaux, à commencer de la part des Américains ?

Deux, les Européens croient-ils sérieusement qu’ils vont préserver leur modèle de société s’ils persistent à vivre en rentiers à l’ombre du bouclier américain ? Les vases communicants entre protecteur et protégé sortent déjà leurs effets pour promouvoir en Europe la culture inégalitaire et violente américaine, inscrite en filigrane dans la priorité absolue donnée à la compétitivité individuelle sur la solidarité collective alors même que les dotations de départ des groupes sociaux sont à ce point, et de plus en plus, contrastées? Warren Buffet parle de la lutte des classes aux USA aujourd’hui en ces termes : ‘c’est nous les riches qui l’avons déclarée et c’est nous les riches qui la gagnons ! L’unité de l’Europe résistera-t-elle à cette violence sociale importée des USA en même temps que la sécurité assurée par Washington?

Trois, l’Europe peut-elle prétendre constituer une réalité organique à l’échelle du continent si elle renonce à se doter d’une défense commune. La monnaie et la défense sont les deux biens publics par excellence, hors de la portée des Etats dans un monde qui a changé d’échelle avec la montée en puissance des Etats continentaux. Renoncer à sa défense est une abdication morale incompatible avec une existence politique singulière. Renoncer à la défense commune ; c’est consacrer de facto la prévalence de l’intergouvernemental sur le communautaire, car aujourd’hui ce sont les Etats et pas l’UE qui sont membres de l’Alliance Atlantique.

Conclusion : l’Europe à la recherche d’un nouveau souffle, d’une nouvelle ligne d’horizon peut-elle continuer dans la fiction d’armées nationales qui ne peuvent servir que d’organes de sécurité intérieure ou remplir des tâches humanitaires, mais sans effet dissuasif possible. On l’a vu en Crimée et en Syrie.

Allons plus loin. La première mission de l’Europe n’est-elle pas de contribuer à la paix du monde qui est, avec l’environnement, le bien public planétaire par excellence ? Croit-on encore sérieusement à la fiction d’une puissance normative , d’un ‘soft power’ désincarné dans un monde où les rapports de force reviennent au premier plan avec la compétition US-Chine pour l’hégémonie stratégique ? L’Europe sera-t-elle happée dans cette compétition ou disposera-t-elle d’un poids propre pour faire prévaloir le multilatéralisme sur le retour à la bipolarité du monde ?Pas de véritable ‘soft power’ sans ‘hard power’ en appui. Pas de puissance normative civile sans une autonomie stratégique.

Envoi La France serait bien avisée de mettre son appareil militaire dans le panier européen et en contrepartie forcer ainsi l’Allemagne à consentir à un budget européen servant notamment à la défense. Mais c’est à travers un impôt européen qu’il faudrait y pourvoir, non par des contributions nationales. L’euro survivra-t-il sans ce deal re-fondateur ?

Pierre Defraigne


Bruxelles , le 11 octobre 2018

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