La question linguistique européenne…

Afin d’aborder correctement la question linguistique européenne, il faut être conscients du fait que les institutions européennes ne sont pas une quelconque Organisation Internationale, elles constituent, au contraire, une Organisation supranationale à laquelle les États Membres ont délégué la responsabilité de réglementer et gérer de vastes secteurs d’activité de l’État et que, dans ces domaines, les institutions européennes légifèrent à titre exclusif.

C’est, en faits et avant tout, cette activité de législateur exercée par les institutions européennes qui impose le plurilinguisme, un plurilinguisme intégral énoncé dans les textes fondateurs et réglementaires qui indiquent que les documents de travail, pour l’adoption de Règlements, Directives et autre, doivent être « rédigés » et non pas « traduits » dans toutes les langues officielles des États Membres de l’Union.

Dans ce contexte, la « Méthode communautaire », conçue et mise en place pour la rédaction et l’adoption des propositions législatives de la Commission européenne, prévoit la création de Comités et Groupes de Travail composés de Services de la Commission et de représentants de tous les États Membres, au niveau des Ministères concernés et des parties intéressées, lesquels sont censés disposer, dès le début des travaux, du texte du projet préparé par la Commission dans leur langue nationale officielle. Ces textes, en toutes les langues, sont présumés évoluer en même temps, au rythme des réunions, des échanges, débats et compromis qui ont lieu au sein des Groupes de Travail « ad hoc » institués pour réglementer une matière déterminée.
L’idée sous-jacente à cette façon de procéder relève du constat que, s’agissant de réglementer des matières très complexes, souvent techniques, touchant à la culture et aux traditions, de toute origine, de chaque État Membre et destinées à conditionner et intervenir dans le quotidiens du citoyen européen, il est indispensable que les représentants des différents État Membres puissent connaître et apprécier, dans les détails et donc dans leur langue maternelle, les propositions de la Commission et la teneur des décisions à prendre.

Il va sans dire que l’adoption des trois langues de procédure et, encore pire, l’usage d’une seule langue au sein des groupes de travail, suivi de traduction « a posteriori » lorsque le texte est parachevé, rend impraticable la « Méthode communautaire », porte préjudice à la grande majorité des États Membres et de leurs citoyens, par l’imposition d’une forme de pensée unique, véhiculée par la langue, et transforme le processus d’intégration de l’Europe en un occulte mais inexorable processus de colonisation économique et culturelle.

Un deuxième aspect de la dérive de l’Europe au sujet de la question linguistique est celui de l’enseignement des langues dans les programmes d’Éducation Nationale des États Membres de l’Union qui se décline presque exclusivement en anglais. Dans certains Pays dont le mien, l’Italie, on en arrive à imposer l’apprentissage de l’anglais, sans donner la possibilité de choisir d’autres langues, aux enfants de l’école maternelle. Ce qui constitue, à mon sens, une forme d’agression culturelle insidieuse, tout aussi grave que celles pratiquées avec les bombes et les blindés.

Après plus de soixante ans d’existence de la Communauté Européenne, ensuite de l’Union Européenne, aucune initiative n’a été prise pour réglementer l’enseignement des langues de l’Union dans les programmes d’Éducation Nationale sous prétexte que la Culture ne constitue pas matière communautaire mais tombe sous le chapitre de la coopération intergouvernementale. Mis à part le fait que, si l’on veut, l’on peut très bien réglementer des matières à partir de la coopération intergouvernementale, la réalité est que les langues officielles des États Membres, et donc de l’Union Européenne, langues des Traités fondateurs, constituent bel et bien matière communautaire, le Règlement 1/58 en est la preuve vivante.

Il est, pour le moins, surprenant que personne ne se pose le problème de la formation des citoyens européens, de leur rencontre et des synergies à mettre en place pour fonder et consolider une culture commune et partagée à partir des connaissances réciproques des langues nationales officielles et que l’enseignement des langues de l’Europe Unie dans les programme d’Éducation Nationale se limite le plus souvent à l’anglais.
Il est grand temps qu’une politique européenne pour l’apprentissage des langues de l’UE et de leur dimension culturelle, leurs valeurs et traditions, soit adoptée et mise en place avec la plus grande attention en termes de civilisation. Il est d’une importance fondamentale que la civilisation gréco-latine, dont le poids démographique est très largement prépondérant au sein de l’Union, visée et mise en cause par les promoteurs de la globalisation, soit assumée, revendiquée et préservée dans toute sa splendeur et dimension, par ses héritiers, au sein du processus d’intégration de l’Europe.

Anna Maria Campogrande

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