Allons enfants de la Patrie…. Reprenons langue(s)! Par Georges Gastaud

Allons enfants

“A chaque fois qu’affleure, d’une manière ou d’une autre, la question de la langue, cela signifie qu’une série d’autres problèmes est en train de s’imposer: la formation et l’élargissement de la classe dirigeante, la nécessité d’établir des rapports plus intimes entre les groupes dirigeants et la masse nationale-populaire, c’est-à-dire de réorganiser l’hégémonie culturelle”. (Antonio Gramsci)

Avec toute la perversité idéologique qui les caractérise, le capitalisme euro-mondialisé et ses collaborateurs hexagonaux présentent le basculement de la France au tout-globish et la relégation largement engagée du français, comme une « ouverture » sur la modernité et sur la pluralité des cultures. C’est également au nom de la diversité culturelle que les régionalismes les plus régressifs tentent d’imposer, Charte européenne des langues régionales et minoritaires à l’appui, la « co-officialité » du français – « langue de la République » au titre de la Constitution – et des langues de territoire au risque clairement assumé, voire revendiqué, d’ethniciser la citoyenneté française et de couvrir d’un voile « culturel » le repartage en cours de la France et son redécoupage en euro-Länder taillés sur mesure pour la « concurrence libre et non faussée » entre les « territoires ».

Comment alors réagir à cette sournoise agression linguistique qui vise à la fois la langue de Molière, la République une et indivisible issue de la Révolution française et – nous l’allons montrer tout à l’heure – toutes les conquêtes du monde du travail ? Car lorsque le français aura été réduit, en France même, au rôle subalterne de « langue domestique »[1], il sera encore plus aisé aux chasseurs de profits du M.E.D.E.F. et du grand capital mondialisé de diviser notre peuple, de dynamiter les avancées sociales et démocratiques de 1905, du Front populaire et du C.N.R., de briser l’aspiration au « tous ensemble » combatif des salariés, de casser les conventions collectives de branche, les statuts nationaux, les services publics et la fonction publique territoriale ou d’État, voire la Sécurité sociale et les retraites par répartition qui forment, aujourd’hui encore, le socle matériel de l’unité nationale-étatique de notre pays.

Pourtant, les résistances linguistiques sont encore faibles, éparses, voire inexistantes dans le mouvement ouvrier et populaire : contrairement à ce qui se passait encore lorsque le P.C.F. de Maurice Thorez et de Jacques Duclos, voire de Georges Marchais, prenait fièrement en charge l’indépendance nationale et la défense de la langue d’Aragon, la résistance à l’invasion du tout-anglais, ou plutôt du tout-américain, dans l’Hexagone, la défense de ce premier service public de France qu’est le français, reste sporadique si l’on excepte les efforts méritoires des associations de défense de la langue française ou ceux de certains syndicats ; on pense à certains dirigeants de la C.F.T.C., à la C.F.E.-C.G.C., ou à l’engagement permanent de la C.G.T.-Carrefour et de ses militants nîmois. Déjà nombre de grandes entreprises travaillent – illégalement ! – en anglais sur le sol même de l’Hexagone, notamment en région francilienne, ce qui occasionne discriminations et souffrance au travail de maints salariés, y compris parmi les cadres. Déjà, les grandes entreprises recrutent honteusement des cadres supérieurs English Mother Tongue[2], ce qui revient à instituer une préférence nationale inversée et à pratiquer une discrimination illégale à l’encontre des salariés dont la langue maternelle est le français ou une langue autre que l’anglais et le français. Comment prendre enfin conscience que, sans notre belle langue française illustrée par l’Édit de Nantes, par le Discours de la méthode, par L’Encyclopédie, par la Déclaration de 1789 et par celle de 1793, la loi laïque de 1905, par Les Jours heureux annoncés par le C.N.R. et par mille autres références lumineuses, la France globishisée ressemblerait bientôt à ce « couteau sans lame dont on a jeté le manche » qu’évoquait jadis Lichtenberg ?

I – Intégrer la dimension linguistique à nos résistances sociales et civiques !
Il faut d’abord prendre la mesure de l’arrachage linguistique en cours : ils arrachent notre langue comme ils virent nos usines, ferment nos hôpitaux, arrachent nos vignes ou éliminent nos exploitations agricoles quand Bruxelles et le M.E.D.E.F. jugent que c’est indispensable à la « profitabilité » du « site France ». Nous n’en sommes plus désormais au franglais, raillé naguère par Etiemble[3], ni à la multiplication des « emprunts » lexicaux à l’anglais. Quand toute la recherche – y compris peu à peu la recherche en sciences humaines, voire en littérature française – bascule à l’anglais, quand de plus en plus de Grandes Écoles et de cycles universitaires se livrent sans vergogne à la langue – non pas de Shakespeare, mais des « traders » et de la City – quand tant de jeunes chanteurs « français » chantent en mauvais anglais, quand tant de films « français », subventionnés par l’argent public, affichent des titres anglais, quand des enseignes « tricolores » comme Carrefour se rebaptisent « Carrefour-Market » ou « Carrefour-City », quand la Société « nationale » des Chemins de fer nomme ses « produits » T.G.V.-Night ou T.G.V.-Family, quand le président de cette société se glorifie d’offrir des cours d’anglais dans ses rames de T.G.V., mais que l’idée ne lui vient même pas d’offrir des cours de français aux étrangers circulant dans ses trains, on n’en est plus à « emprunter » à l’anglais des vocables qui manqueraient provisoirement au français (car des mots français existent depuis toujours, convenons-en, pour dire night, card, map, market ou access – comme on dit chez Total – ou everyone ajustable, comme le proclamait horriblement une pub d’Orange, anciennement « France »-Télécom !) ! En l’occurrence, il s’agit clairement de détruire notre langue nationale, de la polluer au maximum en la saturant et en l’enlaidissant d’anglicismes bas de gamme, de ridiculiser notre pays aux yeux des vrais anglophones, en un mot d’esquinter « ludiquement » notre langue nationale, qui est aussi celle de la Francophonie mondiale, avec des objectifs de classe politiques, économiques, culturels très précis : ringardiser la nation républicaine, éradiquer la fameuse « exception française » issue du Front populaire et de la Résistance antifasciste, insinuer à tout instant le contre-modèle anglo-saxon et néolibéral dans nos cerveaux, distinguer les travailleurs en catégories sociolinguistiques discriminantes[4], faire accroire au bon peuple qu’en un mot, il n’y a pas d’autre alternative que l’Empire euro-atlantique promis par les maîtres de l’U.E., de l’euro, de l’O.T.A.N. et du « Grand Marché Transatlantique » en construction…

Ce ne sont pas là des fantasmes, hélas : déjà en 2006 l’Union des industries de la Communauté européenne (UNICE), ancien nom de l’actuel syndicat patronal européen Businesseurope, promouvait à son de trompes cette politique de substitution et d’exterminisme linguistiques en déclarant, par la bouche de son tout nouveau président d’alors – le triomphant Baron Seillière, qui venait d’imposer en France une grave contre-réforme sur les retraites – que l’anglais serait désormais « la langue des affaires et de l’entreprise » dans toute l’U.E.[5]. Sciemment opérée par un grand patron français devant le Conseil des chefs d’État européens, cette déclaration déshonorante avait d’ailleurs provoqué la sortie immédiate de Jacques Chirac, un acte de dignité nationale qu’il serait naïf d’attendre des présidents de droite et de « gauche » qui lui ont succédé… Notons du reste que le nouveau nom du syndicat patronal, beaucoup moins francophone, est dû au même Ernest-Antoine Seillière…

Comment dans ces conditions ne pas fustiger la honteuse apathie des états-majors syndicaux qui laissent sereinement assassiner la langue de la République et de la Francophonie internationale pour ne pas compromettre leur insertion dans le « syndicalisme » jaune européen (C.E.S.) ou transatlantique (Confédération Internationale des Syndicats) ? Comment ne pas appeler les travailleurs en lutte pour l’emploi industriel en France, pour la défense des acquis de 1945-47, pour les services publics, l’école laïque et la Sécurité sociale, à se saisir enfin, en vrais partisans de la République sociale, souveraine et fraternelle, de ce combat linguistique proprement vital pour l’avenir de notre pays ? Un combat qui fait aujourd’hui cruellement défaut à la plupart des cahiers de revendications des agents des services publics, des travailleurs industriels, des défenseurs de l’Université au moment où les dirigeants de Renault, de Peugeot, de Citroën, d’Auchan, d’Air-France (devenu « Airfrance »[6]), d’EDF, voire de l’Éducation nationale (si friande de Learning Centers, entre autres…), massacrent notre langue en affichant ainsi leur mépris pour leurs salariés, leurs clients ou leurs usagers restés stupidement francophones ?

Au demeurant, la résistance ne saurait être purement collective. Chacun peut commencer par réagir individuellement en suscitant, par son attitude linguistiquement rebelle, la résistance collective à venir. Dire haut et fort « courriel » au lieu d’ « imeïlle » (ce qui écorche, non seulement le lexique français, mais les structures phonétiques de notre langue qui ne connaît pas le son « eïl’ »), cesser de dire à tout propos « OK » (voire, ridiculement, « OK d’accord ! »[7]), refuser de s’exclamer « yèèèèèèsss ! » à toute occasion, souhaiter « bon anniversaire » en chanson et non « happy birthday to you ! », c’est OSER, si peu que ce soit, marcher et parler à contre-courant, c’est offrir à l’auditeur – une fois la surprise passée et le débat civique et linguistique éventuellement lancé – un point de repère et de résistance structurant, c’est susciter la discussion contradictoire, ce havre de l’esprit républicain, en brisant le consensus linguistique (mais aussi culturel et idéologique) mortifère qui infiltre aujourd’hui nos cerveaux, nos cœurs et… nos cordes vocales ! Revivons l’échéance plutôt que la deadline, assumons d’être ou d’avoir un entraîneur plutôt qu’un coach, d’aimer le rétro plus que le vintage, de s’amuser franchement et sans « fun », d’assister à un tournée en direct, de trouver des coins sympa pour la course plutôt que des spot de running… Prenons un plaisir sobre à dominer nos mots, à maîtriser notre communication –à ne rien céder, ni à la mode, ni au conformisme, ni à la paresse. A utiliser ces mots droits et nets, précis et bien connus, qui savent ce qu’ils disent et osent être crûment eux-mêmes, sans se farder d’un latinisme marchand ou se gonfler avec fatuité des reflux de l’air du temps.

II – Vivent les langues régionales !
Entre la récente Loi Fioraso, qui a institué l’anglais comme langue universitaire en ridiculisant l’article II de la Constitution et la Loi Toubon de 1994, et la Charte européenne des langues régionales, qui tend à faire du français un idiome parmi d’autres sur l’ex-territoire national en voie d’euro-fédéralisation, notre langue nationale est délibérément prise en tenaille avec la complicité de François Hollande, en cela aussi digne continuateur de Sarkozy. Par tous les moyens le Parti Maastrichtien Unique a entrepris de banaliser et de désétablir le français, et cela au moment même où les négociations sur le Marché transatlantique menacent de mort l’ « exception culturelle » à l’échelle mondiale, européenne et française, face à la domination globalitaire de l’Oncle Sam. Le projet linguistique de « Charte » des langues minoritaires – dont les origines politico-idéologiques remontent à la pire période de l’histoire allemande[8] – répond clairement au projet politico-territorial porté par le M.E.D.E.F. dans son manifeste Besoin d’aire publié en décembre 2011 à l’initiative de Mme Parisot. Le haut patronat veut ouvertement en finir avec la République française souveraine (notamment avec son cadre territorial « jacobin » issu de la Révolution : communes, départements, État-Nation, tout cela s’insérant dans une Charte de l’O.N.U. proscrivant – au moins en principe – le prétendu « droit d’ingérence » des forts sur les faibles et proclamant au contraire le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes). Et pour cela, il faut dissoudre la République une, laïque, sociale, démocratique et indivisible que proclame – en théorie, nous sommes bien d’accord, mais la théorie n’est pas rien ! – la Constitution actuelle, dans l’U.E. des métropoles et des euro-régions, de préférence transfrontalières. Celles-ci seront centrées en apparence sur les langues régionales (breton, basque, etc.), et dans les faits, sur l’anglo-américain[9], soit –plus marginalement – en allemand[10].

Face à cette grossière subversion de l’unité territoriale nationale qui revient à donner le pouvoir local à des groupes minoritaires d’euro-sécessionnistes, pour la plupart très réactionnaires (cf les Bonnets « rouges » bretons !), il serait à la fois injuste et maladroit de réagir par une crispation à l’encontre des langues régionales et des citoyens qui leur sont très légitimement et très honorablement attachés. Toutes, elles font partie de notre patrimoine national commun, comme l’atteste entre autres le rôle civilisateur éminent des troubadours médiévaux. Tout en promouvant partout le français comme langue commune de la République sociale, une France dirigée par le mouvement ouvrier révolutionnaire n’eût sans doute pas cherché à marginaliser les langues régionales comme l’ont fait la bourgeoisie bonapartiste, puis les notables radicaux de la Troisième République. Il n’est que de voir comment a procédé la jeune Union des républiques soviétiques sur le terrain linguistique : Lénine voyait certes dans le russe la langue incontournable des échanges entre les Républiques fédérées, mais il a rompu avec la russification imposée par les tsars et a fait donner aux langues des « allogènes » (langues du Caucase, de Sibérie, d’Asie centrale…) de larges moyens de se développer. Les Soviets ont même été jusqu’à créer des écritures, des grammaires et des dictionnaires là où ces langues n’avaient qu’une existence orale avant 1917 ; ils ont également suscité une puissante littérature nationale en langue maternelle pour permettre à chacun de ces peuples fédérés d’aller vers le socialisme universel en partant de ses traditions propres et en les revisitant, voire en les dépassant par leurs propres moyens et selon leur rythme propre. Comment ne pas penser ici aux admirables romans kirghizes de l’écrivain soviétique Tchinguiz Aïtmatov (Le premier Maître, Djamila…) ?

Il serait de plus très impolitique pour les défenseurs du français de prendre de front à la fois les tenants impérialistes du tout-anglais et les partisans républicains des langues régionales… tout au moins, ceux qui ne détestent pas « le » français parce qu’ils font la différence entre la langue de Victor Hugo et l’usage oppressif (pas seulement[11]…) qu’en a parfois fait la Troisième République. Rejeter les langues régionales serait d’abord faux dans le principe : de vrais internationalistes défendent tout naturellement le français contre le TOUT-anglais, mais ils ne seraient pas moins tenus de combattre le TOUT-français tel que le colonialisme a tenté de l’imposer en Afrique « au temps béni des colonies » (sic). Notons d’ailleurs que les peuples de l’ex-Empire colonial français ont intelligemment riposté au colonisateur en faisant du français – de LEUR français ! – une « prise de guerre », selon l’excellente expression de Kateb Yacine : loin de s’enfermer dans le « petit nègre » humiliant que leur enseignait le colonisateur, les ex-colonisés ont souvent mis un point d’honneur à cultiver un haut niveau de langue française dans leurs universités, notre enseignement actuel du français, ravagé par quarante ans de contre-réformes néolibérales faisant parfois pâle figure quand on se risque à la comparaison.

En outre, ce rejet prétendument républicain des langues régionales serait suicidaire politiquement pour la défense du français. Le fin marxiste que fut longtemps Mao nous a suffisamment appris, notamment dans son étude dialectique sur la contradiction, qu’il convient dans chaque lutte de distinguer l’ennemi principal de l’adversaire secondaire en réservant au premier l’essentiel de nos coups ; d’autant que souvent, tout ou parti de l’adversaire secondaire peut devenir un allié si l’on sait le dissocier de l’ennemi principal qui le manipule et ne cherche qu’à le poignarder dans le dos le moment venu. Enfin et surtout, il faut faire entendre aux tenants abusés des langues régionales que l’oppression linguistique et scolaire que ces langues ont subie hier (non par la faute de « la langue française », mais par celle de la bourgeoisie autoritaire), ne saurait justifier que leurs partisans actuels aident aujourd’hui à assassiner le français et la Francophonie internationale – ce ferment de résistance mondiale à l’américanisation générale – au profit d’un maître combien plus écrasant : le tout-anglais de l’Empire transatlantique et transpacifique en gestation[12], ce monstrueux totalitarisme planétaire que construisent l’Empire américain et l’Europe allemande en pleine expansion vers l’Est (cf l’actuelle extension de l’O.T.A.N. à l’Ukraine, en attendant qu’arrive le tour de la Biélorussie) : car la légitime dénonciation des crimes passés ne saurait légitimer la collaboration enthousiastes aux crimes présents et à venir !

Surtout, les défenseurs du français et les amis des langues régionales doivent se souvenir les uns et les autres d’une fable très « politique » de Jean de La Fontaine : se disputant un terrier, la belette et le petit lapin portent leur différend devant le Chat Raminagrobis. Feignant d’être sourd, le vieux matou leur demande de s’approcher et, quand ils sont à portée de ses griffes, il les happe et les dévore l’un après l’autre. Aujourd’hui, c’est le Raminaglobish transatlantique qui joue à opposer le français aux langues régionales ; mais une fois qu’il aura désétabli la « belette » francophone en se servant des petits lapins régionaux, qui peut croire qu’il laissera la moindre chance aux langues de territoire ? Si ce rempart mondial au tout-anglais qu’est (encore) la Francophonie internationale venait à sauter, il n’est pas difficile de comprendre que les langues régionales de France seraient encore plus vite englouties que ne l’ont été le gallois ou l’écossais celtique en Grande-Bretagne, ou les langues amérindiennes liquidées ou folklorisées par l’Empire yankee. Quand ce dernier aura fini d’utiliser les euro-sécessionnistes et les langues régionales pour dépecer les États italien, français, espagnol, voire britannique (mais pas la R.F.A., qui s’est « réunifiée » en phagocytant la R.D.A. et en divisant-satellisant les pays voisins, ex-Tchécoslovaquie, ex-Yougoslavie, États baltes, et demain sans doute la Belgique brisée par le « nationalisme » réactionnaire flamand), il aura tôt fait de régler leur compte à l’euzkara, au catalan, à l’alsacien, au corse, comme il l’a si efficacement fait avec le français de Louisiane et comme il s’emploie à le faire aujourd’hui, avec la complicité de Montréal et des gouvernants libéraux du Québec, par l’anglicisation galopante de Montréal[13].

C’est pourquoi tout vrai républicain devrait, au nom de la diversité indispensable à la culture mondiale, défendre TOUTES les langues de France et du monde contre la (non-) langue unique en marche, sans chercher cependant à briser le primat officiel de la langue nationale unifiée là où il en existe une[14]. Car à l’heure actuelle, les nations constituées (ou les États multinationaux hérités de l’histoire et brisés par l’Empire, comme la République socialiste fédérale de Yougoslavie) constituent des remparts pour la défense du droit des peuples à s’autodéterminer et à construire à égalité l’indispensable coopération mondiale entre les peuples.

Il est d’ailleurs surprenant que les organisations écologistes qui, à raison, défendent la biodiversité du vivant contre le rouleau compresseur du consumérisme capitaliste, restent de marbre quand disparaissent jusqu’à huit langues PAR AN et quand de grandes langues nationales et internationales porteuses d’une part majeure des Lumières mondiales, l’italien, l’allemand, le français, le polonais, le russe, sont rapidement boutées hors des secteurs décisifs de la communication mondiale : sciences, technologies, commerce, enseignes, cinéma, chanson, etc. Pourtant, quand une langue s’atrophie en perdant plusieurs fonctionnalités majeures, c’est une manière de vivre et de penser, c’est un regard et une sensibilité différents sur la vie qui plongent dans l’oubli, c’est un « esprit » qui meurt, ce sont des millions d’hommes qui sont subitement niés jusque dans leur histoire et dans leur identité la plus profonde, y compris celle de leur inconscient (que serait une psychanalyse en globish mondialisé ?) : en quoi serait-ce moins grave que de voir s’éteindre une sous-espèce de limaçons en Basse-Silésie ou un sous-groupe de poisson des abysses dans la fosse des Mariannes ?

Il faut donc à la fois défendre les langues régionales, qui devraient trouver place dans l’Éducation nationale partout où existerait une demande significative, et le primat de l’enseignement du français dont l’enseignement – rabougri et désossé par les contre-réformes libérales successives – doit être fortement revalorisé, étendu et requalifié de la maternelle à l’Université comme voie d’accès principale de tous les futurs citoyens-travailleurs aux « lumières communes » dont notre pays fut historiquement le pionnier de Descartes au plan Langevin-Wallon en passant par l’Encyclopédie de Diderot-D’Alembert.

III – Vive l’enseignement des langues de l’immigration de travail !
Curieusement, les mêmes qui s’enthousiasment pour la Charte européenne des langues au nom de la diversité et de l’égalité entre les parlers, ne trouvent rien à dire au fait que les langues de l’immigration de travail ne sont quasiment pas enseignées par l’école publique. C’est ainsi que pas un lycée de l’ex-bassin minier du Nord-Pas-de-Calais n’enseigne l’arabe comme LV 1 ou LV 2, alors que cette langue est parlée par nombre d’anciens mineurs marocains et leurs ayants-droit. Une étrange lacune qui semble ne choquer personne et qui ouvre un espace considérable aux intégristes pour accaparer l’enseignement de cette langue internationale sur des bases lourdement cléricales…

Si l’on voulait réellement accueillir et intégrer ces populations ouvrières, y compris en leur faisant aimer le français et la République, il conviendrait d’en finir avec cette exclusion linguistique par omission. Il faudrait pour cela affronter la députée Marion Maréchal-Le Pen et son prétendu front « national » : cette demoiselle n’a-t-elle pas exigé en 2012 à la tribune du Parlement que les rarissimes cours dispensés en arabe par l’école publique à des enfants d’immigrés primo-arrivants soient supprimés… et que les (très maigres) crédits qui sont alloués à ces cours de mise à niveau soient désormais affectés … au français[15] ? Nullement : à l’enseignement de l’anglais dès l’école primaire ! Bref, le FN n’est pas opposé à toute espèce de langue d’immigration et les mêmes xénophobes qui stigmatisent les populations prolétariennes issues de l’espace africain francophone, n’ont rien à redire contre la colonisation linguistique de l’Hexagone que pratique toute une partie de l’élite friquée venue de l’Europe du nord pour s’approprier des cantons entiers : comme si c’étaient les travailleurs étrangers qui délocalisaient nos usines à l’étranger, et non les P.D.G. « français » du C.A.C.-40, dont Le Monde nous apprend qu’une majorité réside désormais à New-York, et dont certains imposent le « travailler-en-anglais » dans nombre de sociétés franciliennes ! Pour mesurer l’aliénation nationale et l’humiliation linguistique que nous tolérons – et parallèlement l’ampleur du racisme pas seulement linguistique qui hante les meilleurs esprits en France – il suffit de s’imaginer comment réagirait la population française, intellectuels et « bobos » compris, si d’un seul coup toutes les enseignes et pubs en anglais qui nous assaillent étaient subitement écrites ou prononcées en arabe, en wolof ou en berbère ! Et pour mesurer à la fois l’islamophobie d’État et l’autophobie nationale dont font preuve certains dirigeants de la droite, il suffit de considérer la proposition délirante formulée par Jean-François Copé[16] : entre deux pains au chocolat, ce triste sire ne proposait-il pas récemment d’imposer le tout-français dans les mosquées de France, d’y proscrire l’arabe… et de passer désormais les films américains en V.O. de manière à imprégner d’anglais les enfants dès le biberon (plus facile que de créer des postes de français, d’anglais, d’allemand, d’espagnol, de russe, d’italien, etc. dans nos lycées !). Énorme veulerie et terrifiante vulgarité d’esprit qui conduit à vilipender les plus faibles et les plus en dangers – les ouvriers issus de l’immigration – et à ramper voluptueusement devant les plus forts, Européens du nord friqués refusant d’apprendre notre langue, investisseurs à milliards débarqués de Dallas ou du Qatar, U.E. imposant déjà de fait l’anglais comme sa langue officieuse unique en violation des traités européens qui font obligation à la Commission européenne de respecter l’identité culturelle des États-membres.

IV – Vive(nt) le(s) français[17] !
Cette résistance linguistique tous azimuts n’implique aucun « purisme ». Comme toute langue vivante, le français comporte plusieurs niveaux d’usage et chacun d’eux est légitime et efficace pour la destination communicationnelle, poétique, professionnelle, nationale, qui est la sienne. Rappelons d’ailleurs que même Malherbe, le poète qui « épura » notre langue et notre littérature au Grand Siècle, se référait aux « crocheteurs des Halles » pour fixer le vocabulaire. La première des choses à faire pour encourager les travailleurs et d’abord, les militants politiques et syndicaux du mouvement ouvrier, à défendre leur langue, est de les convaincre qu’ils sont compétents en matière de « bon français » puisqu’ils se font clairement entendre de leurs pairs. Au demeurant, qui pourrait parler plus mal le français que les moulins à paroles des « merdias » capitalistes qui ne savent plus faire une liaison évidente, inverser le verbe et le sujet dans une interrogation directe, utiliser la double négation, qui abusent de la novlangue politicienne à la mode et qui – surtout à Paris intra muros – multiplient les anglicismes branchés sans le moindre souci du droit des auditeurs à comprendre ce que disent les chaînes qu’ils financent par leurs impôts ou par l’entremise des pubs (en réalité payées par les consommateurs) qui subventionnent les médias privés. Des études montrent d’ailleurs paradoxalement que les ados qui manient le langage SMS de la manière la plus drôle et la plus inventive sont souvent les plus performants dans l’usage du français « scolaire ». Fi donc des nouveaux puristes qui condamnent le langage des jeunes pour mieux cautionner l’invasion de l’anglo-américain : comme si les multinationales qui imposent d’en haut leur sabir avaient la même légitimité politique à changer la langue que le peuple, le monde du travail et la jeunesse qui, de Tunis au Caire crient en français « dégage ! » à Benali ou à Moubarak, que les syndicalistes de lutte qui se déclarent désobéisseurs et que tous ceux qui ont l’audace d’inventer les néologismes dont ils ont besoin pour dire présenter aux autres leur activité sociale innovante !

Il est également nécessaire de faire de la Francophonie internationale non plus seulement cet espace guindé piloté par les gouvernements (hyper-angliciseurs pour beaucoup d’entre eux, à commencer par ceux de la France, de la Belgique et du Canada…), qui prend prétexte d’une langue commune, qu’ils ne servent guère, pour pontifier sur les problèmes mondiaux, mais un lieu vivant de résistance sociale, d’échange international, d’impulsion culturelle, d’émancipation nationale et de mise en commun linguistique permettant d’affronter à armes égales le rouleau compresseur des oligarchies américanolâtres arc-boutées sur l’exportation de leur langue, réduite au rôle une arme de « soft power » (car contrairement à nos gouvernants, qui considèrent comme un boulet une langue parlée sur les cinq continents, les élites anglo-américaines savent que la pénétration mondiale du globish constitue à long terme une arme économique et commerciale plus efficace que plusieurs alliances militaires ![18]). Face à un tel monstre nourri à la fois par Wall Street, par le Pentagone et par la City, il est vital pour le français d’échanger et de collectiviser la créativité africaine, l’esprit de résistance québécois, la force poétique haïtienne, etc.

Dans le même esprit le français moderne doit dialoguer avec et s’enrichir d’échanges, voire d’emprunts, aux autres langues de France, aux langues de l’immigration ainsi qu’aux autres langues romanes, espagnol, italien, portugais, roumain, qui sont confrontées aux mêmes problèmes d’arrachage linguistique (du moins en Europe) que notre pays, sans négliger bien entendu l’apport de l’espéranto. En un mot, internationalisons les résistances linguistiques et refusons que le tout-anglais règne dans le mouvement syndical international, dans les « alter-summits » (sic) ou dans certaines émissions de prétendue « Underground Democracy » qui, jusque dans leur dénomination, clament le caractère petit-bourgeois, ostentatoire et inoffensif de leur semi-révolte. Entendons enfin le conseil de Montaigne, auteur des Essais et maire de Bordeaux, qui déclarait déjà au 16ème siècle : « que le gascon y aille si le français n’y peut aller ! »…

Cette prise en compte de la diversité linguistique du ou des français n’interdit nullement de se réapproprier le français commun, y compris le vocabulaire et la grammaire – si évolutifs soient-ils – car ceux qui prétendent que tout cela n’est que vieillerie dépassée, qu’il n’y a pas de différence entre l’oral et l’écrit, qu’on peut parler n’importe comment en n’importe quel lieu, font en réalité tout le nécessaire pour se réserver l’écrit et le « bel usage », fût-il mâtiné d’expressions familières employées pour « faire peuple ». Quant à ceux qui défendent l’idée reçue qu’il n’y a pas de normes linguistiques et qu’il suffirait au linguiste de décrire l’état des lieux de la langue sans s’inquiéter de savoir si elle vit ou si elle dépérit, ils méconnaissent ce fait patent que la production de normes linguistiques est un fait langagier constant : celui qui maîtrise bien sa langue, dans quelque domaine que ce soit, et qui peut de ce fait s’en faire le poète, le virtuose et le transformateur actif, travaille et retravaille sans cesse la norme existante. Pour cette raison même, il lui faut bien connaître et manier sa langue, comme l’artisan connaît et manie parfaitement ses outils et sa matière première.

Conclusion – Les « élites » françaises – en réalité l’oligarchie transatlantique et ses collabos de la haute bourgeoisie « française » sacrifient cyniquement une langue dont ils ont profondément honte car elle porte l’inexpiable héritage d’une histoire populaire qu’ils abhorrent : l’héritage de Marat et de Toussaint Louverture, des Communards et du Front populaire, voire de l’Internationale communiste (dont le français était la langue de congrès) et des luttes de libération nationale d’Afrique. Marginaliser cette langue maudite est un enjeu central pour ceux qui veulent, comme le M.E.D.E.F., « reconfigurer les territoires », construire « l’Union transatlantique » et mettre en place « les États-Unis d’Europe, notre nouvelle patrie » – comme si l’on pouvait à son gré changer de patrie, c’est-à-dire de parents et d’histoire. Face à ce énorme parri- et matri-cide de classe et de caste, il revient d’abord aux progressistes d’imposer le débat politico-linguistique : car la substitution linguistique qui vise à exproprier le peuple de ses mots ne pourra l’emporter que si la classe travailleuse se laisse priver de débat sur sa langue. C’est pour la priver de parole à jamais, pour faire d’elle une classe mutique après avoir fait d’elle une masse précarisée et largement chômeuse, que le Parti Maastrichtien Unique, toutes tendances confondues, veut (se) défaire (de) la langue frondeuse de Villon, de Rabelais, de Voltaire, d’Eugène Pottier et autre Jean-Baptiste Clément, sans parler de Félix Leclerc, de Jacques Brel ou des incandescents Fanon et Aimé Césaire.

Première cible de l’exterminisme linguistique de l’oligarchie, la classe laborieuse. Ses organisations syndicales et politiques – et tout d’abord les militants qui ont pris conscience de la nécessité de marier l’émancipation sociale à l’affranchissement national et à la coopération internationale – ont un intérêt vital à engager la résistance linguistique en l’associant aux combats en cours pour le produire en France, les services publics, la protection sociale, la souveraineté nationale, la défense de la paix contre les aventures bellicistes dans lesquelles le Parti atlantique compromet régulièrement notre peuple. Chacun peut sans attendre engager cette résistance aux niveaux individuel, associatif, syndical, politique. Il s’agit moins d’ailleurs de « défendre la langue française » que de SE défendre AVEC la langue française ; c’est pourquoi ce combat a beaucoup à voir avec celui par lequel les résistants sociaux affrontent la novlangue néolibérale (celle qui, par ex. nomme « modernisation » les régressions sociales et « archaïsmes » les acquis sociaux) pour reconquérir un vocabulaire de classe permettant de nommer un chat un chat et M. Manuel Valls un laquais du capital. Il s’agit là d’un combat central et non d’un « à-côté » mineur du combat social : car lorsque les tenants de l’Empire euro-atlantique et de Businesseurope auront détruit nos langues, et avec elles, toute la mémoire consciente et inconsciente du mouvement ouvrier et jusqu’à l’A.D.N. républicain de la Nation, la « France des travailleurs » chantée par Jean Ferrat et l’idéal de République sociale dont notre pays est l’initiateur historique, auront définitivement sombré dans ce que Marx appelait naguère « les eaux glacées du calcul égoïste ». Est-ce vraiment cela que nous voulons pour nos enfants ?

Georges Gastaud

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